La mise en œuvre du droit à l'EPPE discutée en marge de la 59ème session du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies

Par Marianne , 23 juillet 2025

Le 24 juin 2025, à l'occasion de la 59ème session du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies (CDH), où la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à l'éducation a présenté son rapport, et dans le prolongement de la Journée annuelle du CDH 2025 sur les droits de l'enfant, qui avait pour thème le développement de la petite enfance, l'Initiative pour le droit à l'éducation (RTE), en collaboration avec l'UNESCO, l'UNICEF et le Bureau du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'éducation, a co-organisé à Genève un événement parallèle pour présenter et discuter des outils et des conseils pour la mise en œuvre du droit à l'éducation et à la protection de la petite enfance (EPPE).

Cet événement était coparrainé par les délégations permanentes de la Colombie, de la France, du Portugal, de la Sierra Leone, de l'UE, du Luxembourg et de l'Uruguay. 

Les objectifs étaient multiples : 

  • Souligner l'importance de la mise en œuvre du droit à l'éducation et à la protection de la petite enfance.

  • Explorer le rôle des principes directeurs et des instruments juridiques non contraignants dans le soutien de cette mise en œuvre. 

  • Présenter des outils concrets et des initiatives développées pour suivre et rendre opérationnel le droit à l'EPPE dans plusieurs pays, puisque ces efforts sont essentiels pour transformer l'engagement en action. 

Vous pouvez visionner l'enregistrement de l'événement ici et lire les points clés des intervenants ci-dessous.
 

Rappeler que l'EPPE est un droit fondamental

Dragana Korljan, cheffe d'unité, service des procédures spéciales, HCDH, a modéré l'événement. Elle l'a ouvert en soulignant un engagement commun : « veiller à ce que chaque jeune enfant, quel que soit son lieu de naissance, puisse exercer son droit à une protection et une éducation de qualité pour la petite enfance ».

En outre, elle a souligné que la petite enfance est l'étape la plus cruciale dans le développement d'une personne, façonnant ses capacités physiques et cognitives, mais aussi son bien-être social et émotionnel. Par conséquent, l'accès à une EPPE de qualité pendant ces années de formation n'est pas seulement essentiel pour la survie de l'enfant - il pose également les bases de l'apprentissage tout au long de la vie, de la santé et du développement. 

Mme Korljan a rappelé que les avantages de l'EPPE dépassent le cadre de l'individu et servent de pierre angulaire au renforcement du système éducatif, à la réduction des inégalités, à la promotion des droits humains et de l'égalité des sexes et à la stimulation de la croissance économique. Cela signifie qu'il s'agit à la fois d'un droit fondamental et d'un investissement stratégique dans un avenir plus équitable et durable. 

Parallèlement, alors que la reconnaissance du droit à l'EPPE continue de progresser au niveau international, d'importantes disparités subsistent, notamment en termes d'accès et de qualité. En d'autres termes, les enfants les plus marginalisés sont encore ceux qui sont souvent laissés pour compte.

En réponse à ces défis, elle a informé que de nouveaux principes directeurs sur le droit à l'EPPE sont en cours d'élaboration. Ils visent à consolider et à clarifier les obligations juridiques des États et à soutenir une mise en œuvre efficace. Des outils et des initiatives complémentaires sont également en cours pour soutenir une mise en œuvre et un suivi efficaces de ce droit fondamental au niveau national.
 

Remarques introductives: la perspective du Portugal

S. E. M. João António Mira Gomes, ambassadeur, représentant permanent du Portugal auprès de l'Office des Nations unies à Genève (ONUG), a formulé des remarques introductives. 

Il a réaffirmé l'engagement fort du Portugal en faveur du droit à l'EPPE, qu'il considère comme un pilier fondamental du développement humain, de l'équité sociale et de l'apprentissage tout au long de la vie. Se référant au cadre juridique international et européen ainsi qu'à l'ODD 4, il a souligné que « le Portugal a fait des progrès significatifs pour s'assurer que tous les enfants ont accès à des services de la petite enfance de qualité, inclusifs et équitables ».

Indiquant que « le Portugal défend la nature universelle du droit à l'éducation, qui comprend tous les niveaux d'éducation », il a mis en avant plusieurs politiques nationales mises en œuvre pour renforcer les droits à l'EPPE : l'extension de l'enseignement préscolaire gratuit pour les enfants âgés de 3 à 6 ans avec l'objectif d'une couverture universelle, l'élaboration de normes de qualité et de programmes scolaires adaptés à l'âge, la priorité donnée au développement professionnel continu des éducateurs et éducatrices, et la fourniture de services intégrés qui combinent l'éducation, la santé et l'aide sociale. Il a toutefois souligné que « malgré ces progrès, des défis subsistent, tels que les disparités régionales dans l'accès et la qualité des services d'EPPE et la nécessité d'investir davantage dans la formation et les ressources ».

Il a noté que « des efforts importants sont nécessaires pour renforcer la collaboration entre les différents secteurs (éducation, santé et services sociaux), sensibiliser le public aux droits à l'EPPE et assurer un financement durable et un soutien politique pour combler les lacunes existantes ».

Il a conclu en appelant la communauté internationale à tenir compte des Principes directeurs sur le droit à l'EPPE et à intégrer l'investissement dans la petite enfance dans les plans nationaux d'éducation, soulignant que : « c'est en investissant dans les premières années que nous construisons des sociétés pacifiques, résilientes et justes ».
 

L'importance des principes directeurs et autres instruments non contraignants dans la mise en œuvre du droit à l'EPPE

Farida Shaheed, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à l'éducation, a mis l'accent sur l'importance des principes directeurs et autres instruments non contraignants dans la mise en œuvre du droit à l'EPPE, soulignant que les principes directeurs, bien que non contraignants, peuvent faire avancer le développement du droit international des droits humains (et sa mise en œuvre) pour le bénéfice de toutes et tous. 

Tout en soulignant que l'EPPE apporte des avantages considérables aux enfants, aux familles et à la société dans son ensemble en termes de développement, d'éducation, de culture et d'économie. Elle a insisté sur le fait qu'elle est trop souvent considérée comme facultative ou charitable, au lieu d'être ce qu'elle est vraiment : « un précurseur de la réalisation réussie du droit à l'éducation, fondé sur le droit international ».

Elle a souligné que dans de nombreux pays, l'EPPE reste privatisée, ce qui en limite l'accès et aggrave les inégalités, affirmant que les États doivent inverser cette tendance en mettant progressivement en place une EPPE gratuite, publique et fondée sur le droit.

Elle a noté que si le droit à l'éducation en général est protégé par des traités tels que la Convention relative aux droits de l'enfant et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, sa mise en œuvre au niveau de l'EPPE est compromise par la fragmentation juridique et la faiblesse de l'expression normative. Elle a souligné que « indépendamment de la reconnaissance explicite de l'EPPE en tant que droit humain dans le droit international, il existe suffisamment de preuves pour que les États s'engagent à la mettre en œuvre en tant que condition préalable à la pleine réalisation du droit à l'éducation pour toutes et tous ». 

Elle a exprimé son soutien à l'élaboration de principes directeurs sur le droit à l'EPPE : pour consolider, clarifier et renforcer les obligations existantes et combler le fossé entre les engagements politiques (comme l'ODD 4.2) et les obligations juridiques contraignantes. Elle a rappelé que ces principes s'inscrivent dans une longue tradition d'établissement de normes en matière de droits humains par le biais d'instruments non contraignants, en se référant par exemple aux Principes de Limbourg (1987), aux Lignes directrices de Maastricht (1997) et aux Principes d'Abidjan (2019). Elle a noté que ces exemples montrent que le droit non contraignant peut combler les lacunes en matière de protection, influencer la jurisprudence, remodeler le financement et la programmation, et finalement se transformer en normes contraignantes.

Elle a conclu en déclarant : "Le droit à l'éducation commence à la naissance. Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser cette étape cruciale sans protection ni financement". Elle a ajouté que nous devions aller de l'avant « pour transformer l'EPPE d'un privilège en un droit pour tous les enfants ».

Se référant à son rapport de 2022, elle a appelé les États à :

  • Définir et inscrire dans la loi le droit à l'EPPE de la naissance à l'école primaire, par le biais d'un processus inclusif impliquant toutes les parties prenantes ;

  • Investir des ressources publiques suffisantes dans l'offre publique d'EPPE ;

  • Veiller à ce que le personnel de l'EPPE soit formé aux approches fondées sur les droits de l'enfant. 

  • Soutenir les familles, en particulier au cours des trois premières années de la vie de l'enfant, et favoriser une approche intersectorielle de l'EPPE, fondée sur la collaboration entre tous les ministères et organismes responsables (éducation, santé, emploi, services sociaux, protection de l'enfance).
     

Améliorer les approches et les pratiques holistiques pour faire progresser le droit à l'EPPE au niveau national

Rolla Moumné, spécialiste et responsable du programme sur le droit à l'éducation à l'UNESCO, a présenté la position de l'UNESCO sur l'EPPE et informé du développement d’un nouvel outil qu'ils sont en train de piloter

Elle a commencé par réexaminer l'EPPE en tant que droit fondamental qui sous-tend la réalisation de tous les autres droits. Se référant à la Stratégie mondiale de partenariat pour la petite enfance, elle a rappelé que les droits et les services d'EPPE sont essentiels au développement holistique des enfants et constituent un moteur clé de la réussite éducative et de l'équité sociale. Elle a ajouté que « des cadres juridiques appropriés et des politiques solides sont essentiels pour garantir ce droit ». Elle a souligné la reconnaissance accrue du droit à l'EPPE au cours de la dernière décennie, notamment avec l'adoption de l'ODD 4.2 et de la Déclaration de Tachkent. Tout en se référant au rapport de l'UNESCO intitulé Building and Strengthening the Legal Framework on ECCE Rights, elle a fait part de chiffres montrant un écart frappant entre les engagements mondiaux et la mise en œuvre au niveau national.

Pour combler cette lacune, l'UNESCO a participé à l'élaboration des principes directeurs sur le droit à l'EPPE et pilote actuellement un cadre analytique destiné à aider les pays à évaluer dans quelle mesure ils mettent en œuvre le droit à l'EPPE conformément aux normes internationales. Sa méthodologie combine une analyse des documents juridiques et politiques avec l'engagement direct d'équipes nationales intersectorielles - composées de représentants du gouvernement, de parlementaires, de professionnels de l'EPPE et de membres de la société civile. Son objectif principal est d'identifier les lacunes juridiques, politiques et de mise en œuvre, et de formuler des recommandations exploitables pour une réforme nationale. Cet outil vise à traduire les droits dans la pratique.

Elle a conclu en déclarant : « en alignant les normes mondiales sur l'action locale, nous voulons aider les pays à faire de l'EPPE non seulement une promesse, mais une réalité vécue pour chaque enfant ». Et d'ajouter : « nous devons être audacieux dans nos engagements, rigoureux dans nos évaluations et inébranlables dans notre conviction que le droit à l'EPPE n'est pas facultatif ».
 

De l'engagement au respect des normes : Réaliser le droit à l'EPPE

Aleksandra Jovic, spécialiste du développement de la petite enfance, Bureau régional de l'UNICEF pour l'Europe et l'Asie centrale, a présenté les faits marquants, les priorités et les voies à suivre.

Elle a commencé par souligner l'importance de réaffirmer le droit à l'EPPE comme un droit fondamental - non pas une option politique ou un privilège, mais une obligation, fondée sur la Convention relative aux droits de l'enfant, renforcée par l'ODD 4.2.

Soulignant des faits saillants, elle a rappelé qu'il est scientifiquement prouvé que les 1 000 premiers jours sont cruciaux pour le développement du cerveau et la réalisation du potentiel de développement des enfants, offrant ainsi l'un des plus grands retours sur investissement. Pourtant, l'EPPE reste inégale et sous-financée : 250 millions d'enfants de moins de cinq ans dans les pays à revenu faible et intermédiaire risquent de ne pas atteindre les étapes fondamentales de leur développement et le taux de scolarisation dans l'enseignement préprimaire n'atteint que 35 % dans les pays à faible revenu, contre 89 % dans les pays à revenu élevé. L'investissement mondial reste bien en deçà des niveaux recommandés. 

Madame Jovic a énuméré trois impératifs structurels auxquels nous devons répondre pour faire de l'EPPE un droit : (1) intégrer une approche fondée sur les droits et axée sur l'équité dans les politiques nationales et les cadres juridiques de l'EPPE, en accordant une attention particulière aux enfants marginalisés ; (2) Faire progresser la gestion de l'EPPE par la gouvernance, grâce à l'élaboration de politiques, à la réglementation, au renforcement des capacités et à une approche holistique; (3) Garantir un financement durable et équitable, en allouant au moins 10 % des budgets de l'éducation à l'enseignement préprimaire.

Pour l'avenir, elle appelle à une action dans quatre domaines : (1) donner la priorité aux enfants les plus exclus ; (2) investir dans une main-d'œuvre qualifiée et bien soutenue ; (3) renforcer les systèmes de soutien aux familles et aux soignants ; (4) améliorer les données pour la prise de décision et la responsabilisation. 

Elle a conclu en déclarant que « la réalisation du droit à l'EPPE est l'une des actions transformatrices les plus rentables que nous puissions entreprendre pour faire progresser l'équité, l'égalité des sexes, le développement inclusif et la paix ».
 

Un nouveau guide pour le suivi de l'EPPE sous l'angle des droits humains

Delphine Dorsi, directrice de l’Initiative pour le droit à l’éducation (RTE Initiative)a présenté le nouveau guide de RTE pour le suivi de l'EPPE sous l'angle des droits humains, publié en anglais en avril 2025. Elle a signalé que la version française sera bientôt disponible.

Elle a indiqué que le guide comprend des indicateurs des droits humains et des références au droit international des droits humains, qui peuvent aider à la mise en œuvre du droit à l'EPPE en identifiant les lacunes et les problèmes. Principalement conçu pour les organisations de la société civile, il est également utile pour les universitaires, les gouvernements, les organisations intergouvernementales et les organismes donateurs. 

Elle a montré un exemple d'indicateur, indiquant que les indicateurs spécifiques pour le suivi de l'EPPE sont regroupés sous différents thèmes : l'accès, la qualité, le financement, la gouvernance, l'engagement avec les parents et les soignants, ainsi que la privatisation.

Elle a invité les participants à explorer l'outil de suivi en ligne de RTE et l'outil de sélection des indicateurs.
 

La mise en œuvre du droit à l'EPPE dans les situations d'urgence: la perspective de la Colombie

S.E. Mme Laura Guilhem, Représentante permanente de la Colombie auprès de l'UNESCO, a mis l'accent sur l'importance de l'EPPE dans les situations d'urgence (déclaration vidéo).

Elle a commencé par déclarer que le droit à l'éducation est l'une des principales priorités de la Colombie, le gouvernement s'étant engagé à assurer une éducation inclusive, égalitaire et de qualité pour toutes et tous, reconnaissant qu'il s'agit d'une pierre angulaire de la dignité humaine et du développement durable. Elle a indiqué que la Colombie mettait fortement l'accent sur l'EPPE et estimait que « l'investissement dans les premières années est essentiel pour construire des sociétés résilientes et inclusives ».

Elle a rappelé l'importance de l'EPPE, qui « jette les bases de l'apprentissage tout au long de la vie, de la cohésion sociale et des opportunités économiques, en particulier dans les contextes de crise et de déplacement ». Elle a souligné que si tous les enfants ont besoin d'un soutien efficace en matière d'EPPE, les enfants à risque ou issus de milieux défavorisés ont moins de chances d'en bénéficier.

En tant que coprésidente du groupe d'amis pour l'éducation dans les situations d'urgence à l'UNESCO, elle a déclaré que la Colombie s'engageait à mobiliser la volonté politique et les ressources pour s'assurer que l'éducation soit protégée et qu'elle ait la priorité dans toutes les réponses humanitaires. “Avec les gouvernements, les éducateurs et la communauté mondiale qui s'engagent à élargir l'accès et à améliorer la qualité des soins et de l'éducation de la petite enfance, les conditions sont réunies pour un avenir où aucun enfant n'est laissé pour compte", a-t-elle déclaré.
 

Questions et commentaires

Le représentant de la République de Moldavie s'est interrogé sur le lien entre l'EPPE et la Garantie européenne pour l'enfance, soutenue par l'UNICEF, et s'est demandé comment la crise de liquidité de l'ONU affectait le développement de ces orientations.

Le représentant de la Sierra Leone a attiré l'attention sur la Résolution adoptée en juin 2024 établissant un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée chargé d'étudier la possibilité d'élaborer et de soumettre au Conseil des droits de l'homme un projet de protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant les droits à l'éducation de la petite enfance, à l'enseignement préprimaire gratuit et à l'enseignement secondaire gratuit. Il a souligné que ces deux initiatives étaient complémentaires pour la mise en œuvre de l'EPPE et a invité les États à prendre part à la conversation de septembre.
 

Remarques finales

Dans leurs remarques finales, les intervenants ont souligné l'importance de la collaboration et d'engagements plus forts - à traduire en actions - pour faire progresser la réalisation de l'EPPE.

Nous savons ce qu'il faut faire, maintenant nous devons le faire", a déclaré Mme Jovic.

Tant que nous avançons, nous sommes sur la bonne voie”, a déclaré Mme Shaheed, soulignant l'impuissance de la “redevabilité".

Nous avons besoin d'un engagement plus fort de la part de tous les acteurs : nos gouvernements, le secteur privé, le secteur social. Les pays doivent s'engager davantage, non seulement pour créer la base juridique nécessaire, mais aussi pour l'intégrer dans leurs plans nationaux d'éducation. Nous avons également besoin d'un engagement plus fort pour aider les pays disposant de moins de ressources à mettre en œuvre l'EPPE", a déclaré S.E. M. João António Mira Gomes. Il a conclu en appelant à « agir de toute urgence et dans l'unité ».


Vous pouvez visionner l'enregistrement de l'événement ici.

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